Quelqu'un s'est installé près de lui, un peu plus loin. Il le connaît, fidèle au rendez-vous. Ils s'observent, ils n'ont pas peur l'un de l'autre. C'est le grand noir qu'ils craignent. Il est costaud et méchant, il rafle tout. Il faudra faire vite. Le soleil se pointe derrière l'église, la journée sera belle. Il s'emmitoufle dans ses plumes et jette un oeil sur le rideau qui s'entrouvre : enfin, il va pouvoir picorer !!!
Pendant ce temps, à l'intérieur de la maison :
La gentille dame qui a ouvert le rideau, regarde par la porte fenêtre, sourit à l'oiseau sur la branche, toujours le même, un petit rouge-gorge. Elle est attendrie, se dirige vers sa cuisine et prépare le petit déjeuner : 2 tasses, 2 sucres pour lui, rien pour elle, elle verse le lait, plus pour elle que pour lui. Elle a déjà allumé la radio, toujours la même station. Elle connaît le programme par coeur. Pour le moment c'est l'interview d'un politique par l'un des journalistes vedettes de la station. Bla-bla-bla et bla-ba-ba. Elle écoute distraitement tout en versant l'eau dans le réservoir de la cafetière - 1 verre et demi - , puis la poudre de café - 5 mesures - dans le filtre, appuie sur le bouton. Comme chaque matin elle ne glissera la verseuse qu'une fois l'eau passée dans le filtre, elle pense à tort ou à raison, que le café sera plus fort. Pendant ce temps, elle prépare le pain beurré, 2 pour elle et 2 pour lui, la baguette de la veille, coupée dans le sens de la longueur, ça leur fait bien un demi baguette chacun !!! Elle a éliminé toute la mie, la réservant aux oiseaux.
Dehors, le soleil est monté plus haut dans le ciel bleu. Il est toujours là, le petit rouge gorge, il n'a pas changé de place, il patiente alors que d'autres oiseaux se sont rapprochés. Ça chahute beaucoup dans les rangs quand, soudain, le grand oiseau noir se pose à même le sol. Lui aussi attend la manne matinale.
Les bols de lait sont mis dans le micro-ondes, 1mn30 pour elle, 1mn pour lui. D'ailleurs, le voici qui descend, le regard encore ensommeillé, le sourcil en bataille. On s'embrasse tendrement, il augmente le volume de la radio, prend ses médocs, pendant qu'elle glisse enfin la verseuse sous le filtre de la cafetière. Le liquide noir et fumant se déverse dans un léger clapotis.
Ding, il faut retirer les bols du
micro-ondes et le rituel du petit déjeuner peut commencer.
Dans le jardin, nos amis à plumes attendent toujours tout en discutant dans leur langue d'oiseau, peut-être se moquent-ils de la maîtresse de maison avec sa robe de chambre bleue, trop grande pour elle ? Enfin, enfin, la porte fenêtre s'ouvre et eux, dans une grande envolée, vont se réfugier un peu plus loin, attendant que la dame jette les miettes.
Elle referme la porte, recule de deux ou trois pas dans son salon, et guette l'arrivée des petits affamés. Eux ils attendent un peu, mais le gros vilain merle est déjà sur les lieux, alors les petits habitants des arbres se précipitent à leur tour sur le terrain et tout le monde s'en donne à coeur joie, pour mieux s'envoler mais revenir tout au long de la journée, grappiller les miettes de pain, ainsi que les petites boules de graisse qu'on a bien voulu mettre au bout des branches de l'aulne.
Et voilà, c'est un matin comme
presque tous les autres.